Les conflits communautaires en Afrique de l’ouest : quelles solutions durables ?

 

La résurgence et l’exacerbation des conflits communautaires en Afrique de l’Ouest est de plus en plus préoccupante. Pendant longtemps, les rapports sociaux ont été stabilisés à travers divers mécanismes qui tirent leur fondement dans la conscience ancestrale dont la vocation première était l’harmonie entre les communautés qui cohabitaient ensemble. Ce socle a fondé les alliances interethniques, les parentés à plaisanterie dont l’origine est plus ou moins connue (1). Ces dernières constituaient un ciment du groupe et avaient une forte vocation de prévention et de gestion des conflits.

 

Beaucoup de facteurs sont à l’origine de la résurgence de ces conflits et de la dégradation de ce socle ainsi que des principes ancestraux du vivre ensemble entre les communautés. La pauvreté et la raréfaction des ressources dues à une démographie galopante et à l’absence de politiques publiques à même d’apporter des réponses concrètes à ces problèmes ont souvent été avancées pour expliquer le phénomène. Cependant, il importe de souligner que dans la plupart de ces pays, les populations ont toujours été pauvres et résilientes. Malgré cela, hormis les conflits agriculteurs/éleveurs qui surgissaient principalement au moment des saisons de pluie et de la transhumance des troupeaux, les communautés vivaient en harmonie.

 

 I. Les facteurs d’exacerbation des conflits communautaires

 

Deux autres facteurs concourent à l’exacerbation des conflits communautaires  :

 

 1. La transformation des scènes politiques et sociales africaines a profondément affecté les relations traditionnelles qui stabilisaient les sociétés. Le principal facteur de cette transformation a été la démocratisation des années 1989 avec son lot d’ONG internationales et de partenaires de tout genre qui ont proliféré. Ces derniers ont fait de la promotion de la dimension culturelle des sociétés en général, et de leurs spécificités ethniques communautaires en particulier, l’un des aspects importants autour desquels ils ont organisé leurs programmes d’assistance à la démocratisation. 

 

Curieusement, la libération de l’espace public et les replis identitaires qui en ont entre autres résulté, ont contribué à engendrer, depuis 30 ans, une violence qui repose sur les processus électoraux et qui, dans certains cas, ont fait voler en éclats le rôle pourtant avéré de prévention des conflits que jouaient les alliances interethniques et les parentés à plaisanterie. 

 

Ces violences résultent non seulement de la défaillance des partis politiques à jouer pleinement le rôle qui doit être le leur en démocratie, mais également de leurs incompétences et de leurs incapacités à proposer un projet de société efficace comme base d’une compétition démocratique saine. Ce qui permettrait aux populations de faire un choix objectif allant dans le sens de leurs intérêts économiques, de l’amélioration de leurs conditions de vie et de la préservation de l’équilibre social. Au contraire, le constat général est que l’action a consisté, sciemment ou inconsciemment, à rompre ces équilibres là pour assouvir leurs desseins  : principalement la conquête et l’exercice du pouvoir. En effet, l’on a assisté à la mise en avant du facteur clanique et ethnique comme socle de l’ambition politique. Ce facteur clanique, même s’il n’est pas ouvertement exprimé, se retrouve dans l’identification du chef de file du parti à son ethnie ou à son groupe, identification qui prévaut sur toute autre considération objective notamment la définition d’un projet de société durable. 

 

Le caractère conflictuel des processus électoraux découle également du refus des politiciens de jouer à fond le jeu démocratique. Ce dernier, à tort ou à raison, est toujours empreint de soupçons de tripatouillage, de manque de transparence et n’est considéré comme valable que lorsque l’on gagne les élections. Or, tout le monde ne peut pas gagner les élections en même temps. Dans le cas contraire, tout est mis en œuvre pour contester les élections en dehors des voies légales existantes et manipuler les populations en faisant vibrer la fibre ethnique. Une voie bien plus facile à emprunter que celles des recours prévus. Les conséquences plus ou moins désastreuses qui en découlent pour la cohésion sociale sont alors brandies comme une contestation des résultats des élections. Quel que soit le cas de figure, il est unanimement reconnu que la plupart des conflits en Afrique de l’Ouest trouvent leur origine dans les élections (2).

 

 

 2. L’instabilité qui s’est installée en Lybie consécutivement à la chute du guide libyen a entrainé une insécurité grandissante dans la région. La prolifération des armes et des groupes terroristes et djihadistes qui en ont résulté sont venus compliquer une situation déjà fragilisée par le contexte démocratique. Les récents évènements au Mali (3) ainsi que les différentes attaques dans certains pays de la sous-région et leurs conséquences sur la coexistence des communautés ont fini par hypothéquer fondamentalement le vivre ensemble en injectant le fait religieux dans la problématique évoquée. Certaines ethnies, du fait de leur référent historique religieux et de leur similitude religieuse, sont purement et simplement assimilées aux terroristes. Elles font ainsi l’objet d’attaques et sont de moins en moins acceptées par les populations avec lesquelles elles cohabitent. Il en est de même de tous ceux qui, à tort ou à raison, sont accusés de collusion avec les terroristes. Ces soupçons nourrissent, dans certains cas, le ressentiment des communautés voisines (4). Ce dernier est renforcé par l’incapacité de l’État à assurer son rôle régalien de protection de ses citoyens. Cette absence de l’État est comblée par des initiatives locales des populations qui prennent alors en charge leur propre sécurité à travers la mise en place de groupes d’auto-défense et de milices. C’est une poudrière que la moindre étincelle embrase.

 

Il devient dès lors impérieux de chercher des solutions durables pour endiguer la dégradation de la cohabitation entre les communautés et pour restaurer le vivre ensemble (à suivre).

 

 
 
 

1 – Cécile canut et étienne smith, « pactes, alliances et plaisanteries », cahiers d’études africaines [en ligne], 184 | 2006, mis en ligne le 08 décembre 2006, consulté le 24 mai 2019. Url : http://journals.Openedition.Org/etudesafricaines/6198

2 – Ismaila madior fall, cité par saliou faye, « élections et instabilités politiques en afrique de l’ouest, conférence dispensée dans le cadre d’un colloque, université de dakar 2014 

3 – Ceux notamment de ogossagou en mars 2019 où au moins 134 personnes dont des femmes et des enfants ont été massacrées dans un village peul.

4 – Au mali, les civils peuls depuis la création du front de libération du macina, mouvement djihadiste commandé par amadou koufa qui considère les peuls comme les alliés naturels des djihadistes du fait de l’histoire fondatrice du macina au xixème siècle les peuls sont accusés d’être des informateurs et ou des alliés des djihadistes par leurs communautés voisines.